Comment fonctionnent les systèmes alimentaires aujourd’hui ?
Publié le 19 décembre 2019 - mis à jour le 20 décembre 2019
Si l’on veut, en tant que citoyennes et citoyens, réellement décider de notre alimentation, il est nécessaire de savoir comment fonctionnent les systèmes alimentaires aujourd’hui : Qui décide de notre alimentation ? La réalité est complexe et différente selon les pays et les régions, mais nous pouvons constater quelques réalités essentielles.
Au niveau mondial, ce ne sont pas les citoyen.ne.s qui décident de leur alimentation, « de la fourche à la fourchette », excepté parfois et partiellement sur le plan local (circuits courts, marchés paysans). 1. Ce sont les dirigeants et les cadres des entreprises de l’industrie agro-alimentaire, de plus en plus dominée par quelques multinationales (Nestlé, Unilever, Mondelez, Danone, Coca-cola, etc) qui sont partout dans le monde au coeur des systèmes alimentaires(1). 2. Cet agro-business, qui s’est développé au XIX et XXème siècle, ne fonctionne qu’en fonction de ses intérêts financiers et non pas des besoins humains. Ce système ne peut survivre que dans la fuite en avant productiviste et consumériste. 3. Il en est de même dans tous les autres domaines, ce qui nous amène à penser que sans changement global, il nous sera difficile, en tant que citoyen.ne.s, de changer cette réalité en ce qui concerne l’agriculture et notre alimentation.
Ces trois premiers constats sont fondamentaux si l’on veut comprendre qui décide de notre alimentation.
En ce qui concerne toutes les filières alimentaires, en amont cette industrie domine les secteurs des semences, des sélections animales, des intrants et pesticides, mais aussi de la recherche scientifique, de l’enseignement agricole et commercial, des machines et des entreprises agricoles productivistes, et au final des modes de production et de la multitude de produits qu’elle nous impose. En aval il en est de même avec les transports, la transformation, la qualité et la quantité des produits, l’import / export, le marketing ciblé, la publicité, l’information, la distribution, la restauration, les déchets, etc.
Cette industrie décide aussi des prix, à l’achat comme à la vente, des produits agricoles comme des produits transformés, puisque la seule chose qui l’intéresse, rappelons-le, n’est pas de « nourrir les hommes », mais uniquement d’augmenter les profits que ses patrons et les actionnaires peuvent en retirer. Et cela passe par la compression des conditions de vie des travailleurs et du prix de la main d’oeuvre. Peu importe à ces « dirigeants » que ce soit au détriment de l’environnement et que leurs pratiques capitalistiques engendrent de plus en plus de misère, d’injustices économiques et sociales et de migrations forcées. Peu leur importe que la majorité des paysans mais aussi de travailleurs oeuvrant dans cette industrie n’arrivent pas à vivre de leur travail ou le perdent. Peu importe à ces décideurs et à leurs amis de la finance globalisée la santé des humains, que les uns meurent de faim pendant que d’autres souffrent d’obésité, sans parler du gigantesque gaspillage alimentaire. Peu leur importe le réchauffement climatique ou la disparitions de milliers d’espèces animales et végétales. Peu leur importe que les exportations / importations, les spéculations financières et l’accaparement des terres, de l’eau et des autres richesses naturelles détruisent les économies locales et engendrent misère et famines …
En France, l’industrie agroalimentaire, premier secteur industriel (180 milliards € en 2017), joue un rôle clé dans l’économie et l’aménagement des territoires puisqu’elle produit et transforme 70% de la production agricole. Cette industrie est regroupée dans l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) et c’est elle qui intervient dans le Programme national pour l’alimentation (PNA) élaboré par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation (2), en lien avec d’autres ministères (santé, environnement, etc). En France comme ailleurs, la consommation alimentaire s’est modifiée conjointement au modèle agroalimentaire imposé par l’agrobusiness, au profit des produits transformés et des plats préparés, ce qui a des conséquences désastreuses sur l’environnement et sur la santé des populations, en particulier les ménages financièrement les plus modestes. Les familles des quartiers populaires n’ont droit qu’aux « discounts », aux « fast-food » et à « l’aide alimentaire » (produits de basse qualité ou invendus et défiscalisés provenant de la même industrie !). Et les agriculteurs ne captent plus que 6 % de la valeur totale de ce secteur de l’alimentation...
Le rôle des Etats
La majorité des élus politiques, tout au moins ceux qui ne pensent qu’à être réélus, à tous les niveaux, ne remettent pas en question ce système libéral. Bien au contraire ils régulent de moins en moins l’économie et créent des lois ou signent des traités internationaux (Lisbonne, Tafta, Alena, etc) pour que se développe ce système industriel ultra libéral. Les gouvernements se contentent de contrôler à minima ce qu’ils appelent la sécurité alimentaire, sur le plan quantitatif et qualitatif, pour limiter au maximum les révoltes des populations victimes de cette loi du plus fort financièrement. Ils se contentent aussi de minimiser les scandales et les conséquences désastreuses de cette alimentation industrielle, et surtout de ses effets à moyen et long termes sur notre santé, la nature, le climat.
Au niveau mondial comme au niveau européen, il n’y a pas de véritable politique alimentaire, les services administratifs fonctionnant partout sans politique globale, étant séparés les uns des autres : agriculture (FAO, PAC, EFSA (3), développement rural et urbain, sécurité alimentaire et santé publique, commerce, protection de l’environnement, climat et énergie, emploi, éducation, etc. Cet éclatement des politiques permettent aux lobbies industriels là-aussi d’imposer leur pouvoir sur le plan des lois, des traités, et des « directives » (voir Fiche sur les traités internationaux).
« Année après année, des millions de personnes souffrent de violations de leur droit à
l’alimentation ; ce phénomène trouve son origine non seulement dans un manque de
responsabilisation, mais aussi dans la perte de contrôle de la population sur son alimentation et sa nutrition. La concentration du pouvoir de décision entre les mains d’une puissante minorité a abouti à une centralisation du modèle de production et d’approvisionnement en aliments, qui provoque, dans de nombreux cas, des famines, des abus politiques ou un non-respect par les États des obligations fondamentales qui leur incombent. Il est grand temps que les citoyen.ne.s recouvrent leur souverainete legitime sur leur alimentation. Cette injustice est toleree par des Etats qui sont soit à court d’un systeme juridique apte a protéger leur population, soit impliques dans des systemes corrompus »(4).
En France
C’est le ministère de l’agriculture et de l’alimentation qui gère le soit-disant système alimentaire, au travers de différentes administrations, dont la DGAL (Direction générale de l’alimentation) et l’ANSES ( Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). En fait ces services ne font que « veiller à la sécurité et à la qualité des aliments à tous les niveaux de la chaîne alimentaire, ainsi qu’à la santé et à la protection des animaux et des végétaux, en coordination avec les services de l’État en régions et départements et avec les différents acteurs concernés »(3).
Les autorisations de « mise sur le marché » des produits alimentaires (exceptés les médicaments) ne sont délivrées qu’après la production. Les « contrôles aléatoires » ne se font que sur la base d’études produites par les industriels eux-mêmes... Les analyses présentées par ces industriels servent même de référence aux autorités administratives, telle la DGCCRF, lorsqu’il s’agit d’effectuer les normes et les contrôles.
Les citoyen.ne.s sont devenu.e.s des consommateur.trice.s et leur revenu un « pouvoir d’achat ». La propagande est omniprésente, en particulier dans les grands médias et sur Internet. C’est donc tout le système alimentaire qu’il faut changer.
Fort heureusement, en France comme partout dans le monde, il éxiste une multitude de résistances, de luttes, d’alternatives populaires poiur un ancrage territorial démocratique des activités agro-alimentaires, et de propositions politiques pour une agriculture paysanne et une alimentation saine pour tous, pour que nous, les citoyen.ne.s reprenions le pouvoir sur notre alimentation (5).
(1) Panorama des industries agroalimentaires – Edition 2017 – Ministère de l’agriculture et de l’alimentation.
(2) http://agriculture.gouv.fr/mots-cle...
(3) FAO : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. PAC : Politique agricole commune européenne. EFSA : L’autorité européenne de sécurité des aliments.
(4) https://www.righttofoodandnutrition...
(5) Ces résistances, luttes et initiatives populaires pour une véritable démocratie alimentaire feront l’objet d’autres fiches dans le cadre de la campagne « Décidons de notre alimentation ! ».